Paulmy
Neveu du comte d’Argenson, ministre de la guerre, c’est à son oncle que Antoine-René de Voyer d’Argenson, marquis de Paulmy (1722-1787) dut de bénéficier d’un logement dans le bâtiment de l’Arsenal où il s’installa en 1757. C’est aussi sous sa direction qu’il fit ses premiers pas dans le domaine de la bibliophilie, rassemblant une collection qui en 1785 ne comprenait pas moins de 52 000 volumes, dont 2412 manuscrits, 592 portefeuilles d’estampes ainsi qu’une collection de médailles et de livres de musique.
Après plusieurs ambassades en Suisse, en Pologne et à Venise, Paulmy met un terme à sa carrière diplomatique en 1768 et se retire définitivement à l’Arsenal. Il fréquente les milieux érudits, se passionne pour la littérature médiévale et se consacre à l’enrichissement de sa bibliothèque. Celle-ci a pour noyau la bibliothèque de son oncle, riche de plus de 14 000 ouvrages, dont les « manuscrits de Bourgogne » constituent le fleuron. La collection s’accroît par des achats effectués auprès des libraires de toute l’Europe , par des acquisitions dans les ventes aux enchères, voire par l’achat de bibliothèques entières, telle la seconde partie de la vente La Vallière, acquise en bloc en 1786. La littérature, l’histoire et les sciences y tiennent une place de choix, tandis que la théologie et la jurisprudence y sont moins bien représentées.
Cette immense collection sert de vivier à plusieurs entreprises éditoriales, telles la Bibliothèque universelle des romans ou les Mélanges tirés d’une grande bibliothèque, destinés à un large public mais elle permet également au collectionneur de satisfaire son goût pour l’érudition. Les notes dont Paulmy surcharge les feuillets de garde de ses ouvrages ou les marges de son catalogue manuscrit témoignent de son intérêt pour l’histoire ou la bibliographie, mais elles peuvent également donner de précieux témoignages sur le succès d’un ouvrage récemment paru ou la réputation d’un auteur contemporain.
Contrairement au duc de La Vallière, le marquis de Paulmy ne se sépara que rarement de certains de ses ouvrages. La crainte de voir sa bibliothèque dispersée après sa mort le poussa à offrir sa collection à Louis XVI, à la seule condition de remplacer Jean-Frédéric Bignon, bibliothécaire du roi, mort le 1er avril 1784. Cette proposition fut refusée et le 20 juin 1785, Paulmy vendit sa bibliothèque au comte d’Artois, moyennant 412 000 livres et l’assurance de conserver la jouissance de sa collection jusqu’à sa mort.
Grand admirateur de Joris-Karl Huÿsmans le libraire Pierre Lambert (1899-1969), dans sa librairie "Chez Durtal", consacra sa vie à réunir une collection entièrement consacrée à cet écrivain, constituée de manuscrits, correspondance, documentation, dossiers de travail, fichiers, livres sur Huÿsmans et livres provenant de la bibliothèque de celui-ci, iconographie et objets. On notera aussi une importante section consacrée aux archives de l’abbé Boullan et à l’hérésie vintrasienne, qui avait eu un grand rôle dans l’évolution de la pensée de Huÿsmans.
A sa mort en 1969 il légua cette collection à la « réunion des bibliothèques nationales », souhaitant qu’elle reste telle qu’il l’avait constituée, avec son cadre de classement et sans que les manuscrits soient séparés des imprimés. C’est pour cette raison qu’elle fut attribuée en 1970 à la bibliothèque de l’Arsenal, spécialisée en littérature française. Depuis on s’est attaché à enrichir ce fonds afin qu’il reste un instrument de travail vivant, grâce au dépôt légal pour les études sur Huÿsmans ou les rééditions, mais aussi par achat de manuscrits autographes, de correspondance, d’éditions originales, et grâce à un certain nombre de dons.
Un inventaire est consultable en ligne dans le catalogue BnF Archives et manuscrits :
- J. Lethève, « La donation Pierre Lambert à la bibliothèque de l’Arsenal », dans Bulletin du bibliophile, 1972, p.184-188. - « La Bibliothèque de l’Arsenal », Arts et métiers du livre, 1997, n° 206, p. 554-556. - Joris-Karl Huysmans : du naturalisme au satanisme et à Dieu : [exposition], 1979, Bibliothèque nationale, [Bibliothèque de l'Arsenal, Paris, 7 juin-22 juillet], Paris : Bibliothèque nationale, 1979. Disponible en ligne, url : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6532566b.
Petit-neveu de la favorite de Louis XIV, Louis-César de la Baume Le Blanc, duc de la Vallière, fut l’un des plus puissants seigneurs de la Cour de Louis XV. Ce ne sont pourtant pas ses titres de capitaine des chasses de la varenne du Louvre ni de grand fauconnier de France qui lui valurent son renom, mais la bibliothèque choisie qu’il rassembla dans un premier temps dans son château de Montrouge, puis, après 1768, dans son hôtel de la rue du Bac. Intervenant dans presque toutes les grandes ventes à partir de 1740, le duc fit également rechercher les livres convoités dans les bibliothèques des communautés religieuses ou des collèges, en France ou à l’étranger. Achetant des bibliothèques entières (collections Guyon de Sardière en 1759, Bonnemet en 1772, Jackson en 1775) et procédant à des ventes répétées, le duc de la Vallière constitua une collection en perpétuel mouvement, dont son bibliothécaire, l’abbé Rive, dut renoncer à publier l’inventaire. Il faut donc recourir aux catalogues des ventes successives (1768, 1773, 1777, 1784 première et seconde partie) pour cerner les domaines de prédilection du duc : livres sur vélin, plaquettes gothiques , pièces de théâtre –le duc est l’auteur d’une Bibliothèque du théâtre françois depuis son origine- textes dialectaux ou poétiques, brochures de colportage qu’il contribua à préserver de la destruction. Si les trois premières ventes et la première partie de la dernière dispersèrent la collection, il n’en va pas de même pour les 26537 ouvrages de la dernière vente. Celle-ci, acquise en bloc par le marquis de Paulmy, forme, avec les quelque 52 000 ouvrages de ce collectionneur, le noyau du fonds ancien de la bibliothèque de l’Arsenal.
Coq, Dominique. «Le parangon du bibliophile français : le duc de la Vallière et sa collection » Dans : Histoire des bibliothèques françaises, II, Les bibliothèques sous l'Ancien régime 1530-1789. Paris, 1988, p. 316-331
G. de Bure, Catalogue des livres…, Paris 1783. - Werner Paravicini, Die Nationalbibliothek in Paris : ein Führer zu den Beständen aus dem Mittelalter und der frühen Neuzeit, München ; New York ; Paris [etc.] : K.G. Saur, 1981, p. 68.
Fonds Enfantin ou fonds saint-simonien
Barthélémy-Prosper Enfantin (1756-1864)
Barthélémy-Prosper Enfantin fut l'un des principaux chefs de file du saint-simonisme et de toute évidence le personnage le plus charismatique de ce mouvement.
Le comte de Saint-Simon, descendant du célèbre duc, avait sa vie durant développé une philosophie fondée sur l'idée que le destin des hommes est de travailler pour produire, sous la houlette des plus savants d'entre eux. Ces idéaux hostiles aux privilèges de la naissance lui valurent de finir sa vie en 1825 dans le plus grand dénuement, mais entouré d'un petit nombre de disciples fervents dont Enfantin, Rodrigues, Bazard. Ces derniers fondèrent une école de pensée qui fit rapidement des émules. Dans les années 1827-1828, les saint-simoniens s'organisèrent en "Famille" strictement hiérarchisée et firent de leur école une religion professée par des "apôtres". Les saint-simoniens exposaient leur doctrine lors de séances publiques enflammées et par le biais d'organes de presse propres (Le Producteur, L'Organisateur, Le Globe) : - la destination de l'espèce humaine est de travailler, ce qui n'aurait de sens sans l'amélioration du sort de "la classe la plus nombreuse et la plus pauvre" ; à cette fin, la réorganisation du système bancaire et du crédit doit permettre de débloquer les fonds nécessaires au développement industriel ; - les capacités individuelles doivent s'épanouir grâce à la généralisation de l'éducation ("A chacun selon ses capacités, à chaque capacité selon ses oeuvres") ; - forts de solides compétences d'ingénieurs (nombre d'entre eux étaient issus des rangs de Polytechnique et des Mines), ils élaborèrent des projets de nouvelles voies de communication (chemins de fer français, projet de percement de l'isthme de Suez). Bazard et Enfantin, intronisés "Pères suprêmes" de la religion saint-simonienne en 1829, s'opposèrent violemment sur la question de la place des femmes dans la société et se séparèrent en 1831. Après le schisme, Enfantin resta l'unique "Père" de la religion saint-simonienne. Il fut l'instigateur de l'épisode le plus connu du mouvement : son retrait avec quarante "fils" dans sa maison de Ménilmontant, assorti d'une prise d'habit, du respect du célibat et d'une rigoureuse discipline domestique (1832). Accusé de délit de réunion et d'outrages aux bonnes moeurs, Enfantin fut emprisonné en 1832. La Famille fut alors dispersée.
Après la période militante, sous la monarchie de Juillet et le Second Empire, les saint-simoniens s'employèrent dans le journalisme (Guéroult, Charton, Jourdan etc.), la banque (les Pereire), la politique (Carnot, Chevalier etc.), l'industrie et particulièrement les chemins de fer (Fournel, les Pereire, les Talabot, Enfantin etc.). Dissidents ou non, ils contribuèrent à développer en France une économie industrielle et de communication.
A sa mort en 1864, Enfantin a légué à la Bibliothèque de l'Arsenal les archives du mouvement et des papiers relatifs à ses propres activités, en Orient ou en France où il devint administrateur du P.L.M. Entrèrent ensuite à l'Arsenal le fonds D'Eichthal, les papiers Petit, divers objets et tableaux témoignant de l'épopée saint-simonienne. La collection est régulièrement enrichie et la Bibliothèque de l'Arsenal accueille aujourd'hui la Société des Etudes Saint-simoniennes (ex-Société des amis d'Ismaÿl Urbain et d'études saint-simoniennes).
Tous les manuscrits de ce fonds sont décrits dans le catalogueBnF archives et manuscrits. Un fichier des correspondances est aussi disponible sur place. Les ouvrages imprimés sont décrits dans le catalogue général de la BnF.
"La Bibliothèque de l'Arsenal", Arts et métiers du livre, 1997, n° 206, p. 52-53. Régnier, Philippe, "Histoire et nouveautés des fonds saint-simoniens de la Bibliothèque de l'Arsenal", Bulletin du bibliophile, 2000, n°2, p. 330-352.
Les textes fondateurs du saint-simonisme sont disponibles sur Gallica.