Charles-Théodore Malherbe (1853-1911) est une personnalité aux multiples facettes. Après l’obtention d’une licence de droit, il acquiert une solide formation musicale auprès de Dannhauser, Wormser et Massenet. Musicologue érudit, il collabore, de 1885 à 1893, à divers journaux musicaux (Le Ménestrel, Le Guide musical, La Revue internationale de musique, Le Monde artiste) et rédige également des notes de programmes pour les concerts parisiens. Fin connaisseur de l’histoire du théâtre lyrique, Malherbe publie plusieurs ouvrages musicologiques, certains en collaboration avec Albert Soubies : L’œuvre dramatique de Richard Wagner (Paris : Fischbacher, 1886), Précis d’histoire de l’opéra comique (Paris : A. Dupré, 1887), Mélanges sur Richard Wagner (Paris : Fischbacher, 1892), Histoire de l’Opéra-Comique : la seconde salle Favart (2 vol. Paris : E. Flammarion, 1892-93), Auber : biographie critique (Paris : H. Laurens, 1911). Il collabore à l’édition des œuvres complètes de Rameau chez Durand. Il travaille également avec Felix Weingartner à l’édition allemande des œuvres de Berlioz. Pianiste et compositeur, il laisse des opéras-comiques, des musiques de scène, un ballet-pantomime, des œuvres de musique de chambre. Il achève, en outre, l’œuvre posthume de Georges Bizet, Don Procopio.
En 1895, sur proposition de Charles Nuitter qui prépare sa succession à la tête de la bibliothèque et des archives de l’Opéra, Charles Malherbe est nommé archiviste-adjoint. A la mort de Nuitter, en 1899, il devient archiviste de l’Opéra et reçoit, en outre, le titre de bibliothécaire en 1909, à la mort d’Ernest Reyer. Dès 1899, il dirigeait de fait la bibliothèque et les archives de l’Opéra.
Charles Malherbe était également un collectionneur avisé d’estampes, de documents musicaux et principalement de lettres et de manuscrits autographes de maîtres anciens ou contemporains. Sa collection était extrêmement renommée et il y consacrait une grande partie de sa fortune personnelle, n’hésitant pas au passage à enrichir la bibliothèque de l’Opéra sur ses deniers propres. Son ami Jean-Baptiste Weckerlin agissait de même à la Bibliothèque du Conservatoire et certaines de leurs lettres révèlent les échanges et négociations auxquels se livraient les deux bibliothécaires dans l’intérêt de leurs établissements respectifs.
Sans héritier, Charles Malherbe avait fait savoir depuis longtemps qu’il désirait léguer sa collection à l’Etat français, afin qu’elle soit répartie entre les bibliothèques du Conservatoire et de l’Opéra ; le Conservatoire devant reverser à l’Opéra les ouvrages en double dont il n’aurait pas l’utilité. En échange de ce geste, son seul souhait aurait été de se voir décerner la Légion d’honneur, qu’il n’obtint jamais. Après son décès, le legs est officiellement accepté par le Ministre de l’instruction publique et des beaux-arts, le 23 décembre 1912.
Pris par ses nombreuses activités, Charles Malherbe n’avait pas pu achever lui-même le catalogue de sa collection. Les registres d’entrées du Conservatoire recensent en détail les ouvrages imprimés sur la musique, mais la collection d’autographes, riche de plusieurs centaines de documents, n’apparaît pas. Malherbe avait lui-même estampillé ses documents (estampille « clé de sol ») et une deuxième estampille « legs Malherbe » a été apposée sur tous les documents à leur réception. La provenance a également été inscrite sur les fiches lors du catalogage. Les contours de la collection peuvent être précisés aujourd’hui par la consultation des carnets de cotes.
La collection Malherbe ne comprend pas de pièces antérieures au XVIIe siècle. Parmi les plus remarquables, citons trois importants fragments de cantates de Bach, des manuscrits de Rameau, Mozart, Gluck, Vivaldi, Telemann, Galuppi, Boccherini, soixante-quinze manuscrits de Beethoven (dont une esquisse du final de la IXe Symphonie), une vingtaine d’esquisses de Haydn, une cinquantaine de pièces de Schubert, autant de Schumann, une trentaine de Mendelssohn. Chopin, Liszt, Berlioz, Wagner et Bruckner sont également représentés. La musique française est tout aussi à l’honneur puisque Malherbe recueillait les manuscrits de ses contemporains parmi lesquels Saint-Saëns, Debussy, Lalo, Franck, Chabrier, Chausson, Massenet, Fauré, d’Indy,… ne négligeant pas pour autant les contemporains étrangers : Moussorgsky, Tchaïkovsky, Smetana, Grieg. Cet ensemble de manuscrits prestigieux constitue aujourd’hui le cœur de la grande réserve du Département de la musique. De nombreuses lettres autographes figurent également dans cette collection, notamment de la main de Gluck ou de Berlioz.
La Bibliothèque-musée de l’Opéra conserve une partie des collections de livres et de partitions imprimées de Charles Malherbe provenant, pour une part, de dons faits de son vivant, depuis 1896, et pour une autre part, de doubles donnés par le Conservatoire à la suite du legs.
Mais c’est de l’activité de Charles Malherbe comme archiviste en son sein que la bibliothèque de l’Opéra conserve les traces les plus précieuses. A l’occasion de l’Exposition universelle de 1900 et du congrès d’histoire de la musique, une exposition de manuscrits musicaux anciens et contemporains devait avoir lieu à la bibliothèque de l’Opéra. Il entreprit donc de collecter systématiquement des autographes de compositeurs contemporains : une lettre circulaire demandait la transcription d’un morceau représentatif sur un papier fabriqué spécialement et l’envoi d’une photographie. Le résultat de cette collecte (700 manuscrits environ et un peu moins de photographies), conservé sous la cote CS 1900, a été relié en 20 volumes classés par pays (puis par ordre alphabétique de compositeurs) : Allemagne (3 volumes), Amériques et Angleterre, Autriche-Hongrie, Belgique-Espagne-Finlande, France (9 volumes), Italie, Pays-Bas-Perse-Pologne-Portugal-Roumanie, Russie, Scandinavie, Suisse.
Ecorcheville, Jules. « Charles Malherbe : 1853-1911 », S.I.M. (Société internationale de musicologie), VIIe année, n°11, 15/11/1911, p. 1-4
Valérie Gressel. Charles Nuitter : des scènes parisiennes à la Bibliothèque de l’Opéra. Hildesheim : G. Olms Verlag, 2002. Musikwissenschaftliche Publikationen, 18.
Lebeau, Elisabeth. « Un mécène de la musique, Charles Malherbe », Humanisme actif : mélanges d’art et de littérature offerts à Julien Cain, Paris, 1968, p. 91-99
François Lesure, « The Music department of the Bibliothèque nationale », Notes / Music library association, 1978, p. 251-268.