François Lesure, « The Music department of the Bibliothèque nationale », Notes / Music library association, 1978, p. 251-268.
Jolivet, André (1905-1974)
Les archives d'André Jolivet, qui sont restées intactes après son décès, constituent un ensemble exceptionnel de manuscrits musicaux du 20e siècle.
Elève de Paul Le Flem et d'Edgar Varèse, André Jolivet fonde en 1936 avec Olivier Messiaen, Daniel-Lesur et Yves Baudrier le groupe "Jeune France", pour une "réincarnation de la musique dans l'homme". Musicien dont l'univers réunissait Beethoven, Debussy, Bartok, Stravinsky, Ravel, Berg, Schönberg et Varèse, il compose une œuvre audacieuse, insolite, parfois violente, où les recherches sur le langage obéissent à une exigence spirituelle, celle de rendre à la musique sa puissance magique et incantatoire. Foncièrement original, indépendant et novateur, il se place en dehors de tout dogmatisme. Marius Constant estimait qu'il est "à classer dans les inclassables".
Petit à petit ses manuscrits autographes entrent au Département de la Musique de la BnF : en 1998, nous avons acheté les manuscrits des œuvres concertantes, entre autres celui du Concerto pour piano, ceux des Concertos pour trompette, en 2001 les manuscrits des œuvres vocales : par exemple Le Cœur de la matière ou celui de l'opéra-bouffe Dolorès, puis en 2002, une dation en paiement des droits de succession permet l'acquisition d'une partie de ses œuvres symphoniques et d'un ensemble de documents autour de Mana. A côté des trois Symphonies (1953, 1959 et 1964), la BnF reçoit les manuscrits de Cosmogonie (1938), de la Suite transocéane (1955), de la Suite française (1957), de Psyché (1946) et de Fanfares pour Britannicus (1946), qui rappellent l'homme passionné de théâtre, et celui des Cinq Danses rituelles (1939). Enfin, le Département de la Musique voit son fonds sur Mana enrichi de plusieurs documents : le brouillon de La Chèvre et de L'Oiseau, deuxième et quatrième parties de cette pièce, un exemplaire de l'édition publiée en 1946, annotée et commentée par l'auteur, des dessins originaux à la plume et des projets de couverture pour cette édition et pour le fac-similé du manuscrit qui servit lors de la première exécution. Cette œuvre majeure dont la création en 1935 provoqua l'admiration enthousiaste d'Olivier Messiaen porte un titre qui peut paraître mystérieux, "le Mana désigne dans les sociétés primitives cette force qui nous prolonge dans nos fétiches familiers". Cette suite pour piano seul a été inspirée par les six objets "fétiches" que Varèse avait offerts à Jolivet au moment de son départ pour les États-Unis en 1933.
Le fonds Edouard Ganche, légué à la Bibliothèque nationale par l’épouse du musicographe, la pianiste Marthe Ganche, née Bouvaist (1888-1971), est entré au département de la Musique en 1979. Il témoigne principalement de la passion d’Edouard Ganche pour Chopin, mais atteste aussi de ses autres intérêts : avant de devenir spécialiste de Chopin, Edouard Ganche s’était d’abord destiné à la médecine. Certains de ses ouvrages, pRéserve des livres raresents dans le fonds, traduisent cet intérêt (Le Livre de la mort, 1909 ; Souffrances de Frédéric Chopin. Essai de médecine et de psychologie, 1935). Dans sa recherche sur Chopin, le musicographe privilégia la découverte de documents authentiques sur lesquels il construisit ses propres ouvrages (notamment, Frédéric Chopin, sa vie et ses œuvres, 1913 ; Dans le souvenir de Frédéric Chopin, 1925 ; Voyages avec Frédéric Chopin, 1934) ; il rassembla aussi une collection d’une grande importance (livres, partitions, manuscrits autographes, documents iconographiques), qu’il essaya, en vain, de constituer en musée. Cette collection fut l’objet d’une vente forcée à Lyon pendant la guerre, en 1943 : les autorités allemandes firent alors don de la collection à la Pologne. Les documents (dont le fonds Ganche conserve le catalogue) se trouvent aujourd’hui au Musée et à la Bibliothèque de l’Université Jagiellone de Cracovie. Ganche put cependant conserver un joyau de sa collection : l’œuvre pour piano de Chopin, presque intégrale, dans ses premières éditions françaises, réunie et ordonnée en sept volumes par son élève écossaise Jane W. Stirling. Chopin donna lui-même son assentiment à cet ordonnancement (la table des volumes est en partie de sa main) et les partitions contiennent des annotations et doigtés eux aussi autographes. Ces volumes servirent de base au grand œuvre du musicographe : l’édition, chez Oxford University Press en 1928, des œuvres pour piano de Chopin. La pièce maîtresse du fonds consiste donc en ces sept volumes légués à la Bibliothèque nationale avec une importante collection de livres et de partitions : l’édition d’Oxford elle-même (avec ses jeux d’épreuves corrigées de la main de Ganche) ; tous les ouvrages littéraires du musicographe sur Chopin (livres, préfaces, discours), ainsi que les notes ayant servi à leur élaboration et leurs épreuves corrigées ; de nombreux ouvrages critiques concernant le contexte dans lequel évolua Chopin ; divers numéros de revues musicologiques ou autres contenant des publications sur Chopin (notamment La Revue musicale, Comoedia, La Pologne) ; une bibliothèque de partitions, constituée essentiellement des œuvres pour piano de Chopin, mais aussi de ses contemporains. Outre des meubles et objets personnels, la collection compte plusieurs pastels et lithographies (portraits de Goethe, Wagner, d’Emile Verhaeren, d’Edouard Ganche lui-même) : toutes ces pièces sont réparties aujourd’hui entre le département de la Musique et la Bibliothèque musée de l’Opéra. La genèse des ouvrages savants de Ganche et l’histoire de son activité prosélyte de l’œuvre de Chopin sont en outre contenues dans un très important fonds conservé sous la cote [Vma. 4334 (1-49) : la multiplicité de ses tâches apparaît à travers quarante-neuf dossiers personnels et administratifs. On y trouve, entre autres, les archives de l’Association Chopin, qu’il fonda en 1911 et dont il fut secrétaire général ; les documents concernant la vente forcée de sa collection en 1943 ; une importante correspondance avec ses éditeurs et les spécialistes de Chopin à travers le monde entier, plus particulièrement avec la Pologne et les autorités polonaises (un épais dossier traite notamment du projet de translation des cendres de Chopin à Cracovie) ; les revues de presse concernant ses ouvrages. Les lettres autographes reçues d’éminents représentants du monde musical (de Gustave Charpentier à Alexandre Tansman), littéraire et politique sont également conservées au département de la Musique.
Jean-Michel Nectoux, Jean-Jacques Eigeldinger, « Edouard Ganche et sa collection Chopin », Paris, Revue de la Bibliothèque nationale, n° 7, mars 1983. Id., Introduction et préface aux Œuvres pour piano de Frédéric Chopin, fac-similé de l’exemplaire de Jane W. Stirling avec annotations et corrections de l’auteur (Ancienne collection Edouard Ganche), Paris, Bibliothèque nationale, 1982, p. VII-XLV.